« Ici les routes sont si abimées qu’il est impossible de franchir la barre des 30km/h de peur d’y laisser un pneu. Pourtant c’est pas l’envie qui manque d’accélérer quand on voit presque au delà de l’horizon mais faut dire que le cimetière de caoutchouc sur le bas-coté fout les jetons. Alors on tient ce rythme lent, syncopé par des coups de frein réguliers. Les roues des voitures qui sont passées par là ont tracé des portées dans la poussière. Dans le cadre des fenêtres ouvertes : des nappes de champs de coton à perte de vue sur lesquelles les poteaux électriques battent la mesure. Et le moteur et Mavis Staples chantent en cœur alors qu’on descend la vieille route 61 vers Tutwiler. » Louise Laborie
La légendaire "HIGHWAY 61" aussi surnommée "La route du BLUES" est le rêve de Louise Laborie, depuis très très longtemps, depuis son enfance qu’elle a bercée de musique américaine: « À 14 ans j’étais fan d’Elvis, et je rêvais déjà de ce roadtrip sur la route 61, de Chicago à La Nouvelle Orléans. Je voulais fouler les pas de mes musiciens et musiciennes préférés, voir ces paysages mythiques de mes propres yeux et trouver une résonance supplémentaire dans cette musique que j’adore ». Elle a pensé cette exposition comme un carnet de voyage, extraits de moments choisis, illustrés et sublimés par le souvenir. On déambule de dessins en dessins, avec l’impression d’aller très loin et de mettre nos pas dans les siens. En fil rouge, cette musique américaine qui est l’ADN de Louise, et à qui elle rend hommage en lui donnant une si grande place pour sa toute première exposition, comme un remerciement qu’elle aurait depuis longtemps préparé. "J’écoute de la musique du moment où je me lève jusqu’au moment où je me couche et des fois j’en rêve la nuit. J’écoute de tout, des trucs les plus vieux et ringards aux stars de la pop les plus tendances. J’adore particulièrement la musique étasunienne : le blues, la soul, le rock’n’roll, le jazz, la country…"
On reconnait dans cette exposition son appétit pour les lieux où la solitude et la mélancolie règnent, les lieux mal-aimés, aires d’autoroute, villes dortoirs, parkings, zones d’activité…les lieux « laissés pour compte » qu’elle dessine souvent : « Je crois que c’est pour cela que les Etats-Unis m’inspirent, parce qu'on connait ce pays à travers des images qu’on a vues et revues mille fois, les images du cinéma hollywoodien, le fameux rêve américain… des images tellement travaillées pour créer du désir que ça ne peut être que décevant quand on passe de l’autre côté de l’écran. Il y a une certaine mélancolie qui me parle là-dedans. C’est tellement grand, tout le monde circule en voiture, on se retrouve souvent seul dans des espaces gigantesques et vides, et on se demande ce qu’on fait là. »
La mélancolie trace la route de cette exposition, réconfortante comme celle du Blues, « chaque dessin s’inspire des lieux par lesquels je suis passée et des moments que j’ai vécus, mais j’ai surtout essayé de retranscrire l’ambiance du voyage, l’atmosphère, j’avais envie qu’on puisse entendre la musique à travers les images ».
Et quand on demande à Louise si ce voyage lui a réservé des surprises ou des sensations auxquelles elle ne s’attendait pas, elle nous raconte un moment fort qu’elle a d'ailleurs dessiné : « Tout le voyage j’ai écouté la musique de Jimmy Duck Holmes, le dernier bluesman de Bentonia, un village au sud du Mississippi. Très vite, je me suis mise en quête de trouver Jimmy et de me faire dédicacer son disque. Jimmy tient un café qui s’appelle le « Blue Front Café ». J’y suis allée et je l’ai attendu. Quand il est arrivé je lui ai acheté son album qu’il vendait derrière le comptoir, il l’a signé, impassible, puis il a allumé le petit poste de télé qui était dans l’angle du bar et s’est assis sur un tabouret en silence pour regarder les infos. Les images de l’ouragan qui venait de frapper la Floride tournaient en boucle. Sur ma gauche, la guitare de Jimmy valsait doucement avec le vent, en équilibre contre une chaise de jardin. Il n’y avait personne d’autre que nous dans ce rade miteux qui semblait perdu au milieu de nulle-part. On attendait que le temps passe dans un silence que ni lui ni moi n’avions envie de briser. J’ai bu ma canette de bière à 1$ et je suis repartie. » Cette histoire, l’air de rien, est l’histoire du Blues, et c’est sans doute ce contraste entre les paillettes du rêve américain et la réalité parfois âpre de cette partie sud des états-unis, qui est à la source de l’inspiration de l’artiste :« Mon travail en général tourne toujours un peu autour des points de contact entre le réel et l’imaginaire. J’aime bien quand le réel, avec tout ce qu’il a de décevant, vient se mêler aux rêves, aux fantasmes, aux désirs.
L’aquarelle est sa technique de prédilection et pour cette exposition, Louise a troqué sa plume et son encre noire pour un crayon graphite plus clair, en rehaussant ses dessins de fusain pour « rendre (les) images un peu plus vaporeuses et moins cernées, et leur donner un aspect plus pictural, moins figé, comme si elles sortaient d’un rêve », beaucoup d’illustrations de cette exposition représentent des scènes nocturnes où l’artiste joue avec les clairs-obscurs : donner de la lumière à ce qui est sombre est la magie de Louise, et peut-être la plus belle façon de dessiner de Blues ...
Bienvenue sur la "Highway 61" avec le meilleur guide qui soit, la passion et le talent immenses de Louise Laborie!
Quelques mots de BIO :
Louise Laborie est diplômée de l'École des Arts Décoratifs de Paris depuis 2020 et travaille actuellement comme illustratrice et autrice de bandes dessinées. Après avoir exposé ses illustrations au salon de Boulogne en 2018, elle a étudié le dessin de bande dessinée à New York où elle est tombée amoureuse du travail des dessinateurs américains. Sa première bande dessinée, Morgane Fox, a été publiée par Sarbacane en 2022. Et toujours avec Sarbacane, Louise sort une nouvelle bande dessinée en octobre prochain, "Rock n'roll suicide". Parallèlement à ses projets éditoriaux, elle collabore avec divers journaux (TOPO, CCI, La Revue Dessinée), publications de presse (Le Monde, Les Echos), institutions culturelles (Le Centquatre, le Pop-up du Label) et entreprises (Pernod Ricard).
Bienvenue dans l'univers unique de Louise Laborie ! Sa marque de fabrique : une approche aussi poétique que corrosive, nourrie d'absurdité et de dérision humoristique, servie par des compositions remarquables, des couleurs vives et un traitement ludique de la lumière.