« Plusieurs fois (...) des personnes m’ont demandé « Que vas-tu faire aujourd’hui? » et je me suis surprise à répondre « Je ne sais pas, je vais sans doute faire des vagues. » C’est beaucoup plus tard, quand j’ai pensé à mon exposition que je me suis dit que j’allais continuer à faire des vagues jusqu’en juin et qu’on allait ensuite les encadrer pour les montrer. »
Jessica s’inspire au vol de ce tout qui l’entoure, les gens, les mots, les silences, les objets glanés en balade qui entre ses mains vont changer de vie, un bout de bois, un pavé, un vieux skate …. Elle a le talent d’observer et aussi celui de raconter des histoires, peindre lui accorde ce double plaisir. Sa vie ressemble à un roman et ses œuvres ressemblent à sa vie, on y entre sur la pointe des pieds pour ne pas perturber l’équilibre subtil de ce monde étrange. « En plus des paysages, j’ai peint des objets décalés qui sont comme le cabinet de curiosité de l’évasion rêvée. Des anodins cailloux que l’on offre comme des trésors inestimables, des enveloppes égarées qui ont raté de peu leur destinataire agité, des bouts de lit désertés, des oreillers qui servent de canoë, des clés qui ouvrent la porte de la liberté». La regarder peindre avec ses minuscules pinceaux est une expérience à vivre. Elle peint d’intuition, par succession de petites touches acryliques qu’elle vient chercher sur son assiette en porcelaine. Lentement comme une cérémonie silencieuse, le dessin se construit et apparait, scènes irréelles d’un réalisme troublant. Jessica a une formation hors-piste, autodidacte, sa technique virtuose vient d’une pratique longue et régulière « Je pense avoir dessiné ou peint tous les jours de ma vie du plus loin que je me souvienne ». Elle peint et écrit aussi, c’est dans ce double langage qu’elle s’épanouit et s’exprime le mieux. Autrice de livres pour enfants quand elle était encore étudiante, elle a gardé de son appétit d'écrire l'habitude de disséminer dans ses peintures des petits mots, comme des billets doux ou des messages secrets, à nous destinés. « Faire des vagues » est une exposition qui se regarde autant qu’elle se lit, chaque œuvre raconte une histoire et l’artiste va accompagner de textes la plupart de ses peintures, ils parsèmeront les murs, écrits sur de simples morceaux de papier comme des bouteilles jetées à la mer. Le titre même de l’exposition invite à la réflexion : "Je voulais que le titre soit simple, franc et brut: « Faire des vagues », que le visiteur ne sache pas trop s’il allait observer des vagues, s’il allait lui être conseillé d’en faire dans sa propre vie, s’il allait apprendre à en faire ou juste à les contempler."
« Faire des vagues », est aussi une l’histoire d’une passion, celle de Jessica pour la mer. Cela fait des années que Jessica est en conversation avec l'océan. La mer habite ses peintures comme un vieux compagnon de route. « L’océan est presque devenu un langage. Je me suis rendue compte que quelle que soit l’émotion que je veux transmettre, j’arrive à le faire avec l’aide de l’océan. L’ennui ressemble à de l’eau plate, mais c’est aussi la fougue quand l’écume s’en mêle, l’apaisement quand un livre flotte tranquillement mais c’est aussi la panique quand l’eau semble tout submerger et ressemble à une inondation. L’océan c’est aussi des tempêtes sombres, mais ça peut être un coucher de soleil rosé avec des scintillements à la surface. En y mêlant mes objets de prédilection, des livres, des lits, des bureaux, des choses, des enveloppes, des fenêtres sur l’infini, jamais de bateau, mais chez moi les bateaux sont des matelas, et bien j’arrive à dire précisément ce que j’ai à dire». La mer « toujours recommencée »... L’affiche de l’exposition montre « Rita s’en va », elle nage vite dans les remous, impressionnante de vie, elle s’enfuit. « Les femmes qui peuplent mes tableaux ont pris l’océan, elles sont rentrées dedans, on ne sait pas vraiment si elles savent nager, si elles nagent de manière traditionnelle ou de manière anarchique… Mais sans hésitation, elles ont quitté leur bureau pour sauter dans l’eau. Je voudrais pour cette exposition, qu’elles activent leurs genoux, qu’elles s’enfuient sans trop se retourner, qu’elles trempent leurs fringues dans l’eau iodée, qu’elles fassent aussi des vagues au sens figuré.».
Chacun est libre de lire entre les lignes de cette exposition, et de démultiplier ses sens, bienvenue dans les vagues de Jessica Lisse, magnifique livre ouvert sur un talent ultra-sensible !